Les jonquilles de Green Park

8 mai 2016. Cela fait soixante et onze ans que la Seconde Guerre mondiale est terminée. Sur la place du village, le Maire et quelques officiels sont regroupés autour du monument aux morts où sera prononcé le discours de commémoration. Il est bientôt midi et le soleil commence à taper fort. La fanfare municipale se tient en rang, les instruments bien astiqués. Pour l’heure, c’est le silence. Le même silence chaque année. Le temps d’écouter un vent léger souffler à travers les branches fines des arbres en fleurs. Un vent léger qui murmure : « Liberté ».

Si Tommy, à l’automne 1940, avait pu emprunter le pistolet désintégrateur de Buck Rogers pour voyager dans l’espace temps, il aurait sans nul doute emmené ses parents et sa sœur sur cette place de village le 8 mai 2016. Du moins, il aurait parcouru l’Europe d’après 1945 (mais pas trop loin quand même, parce que ces derniers mois ne sont pas si réjouissants). D’un coup de pistolet désintégrateur, il aurait téléporté sa famille en pleine cérémonie de commémoration, leur prouvant la victoire des Alliés. Même pour ne vivre ce moment qu’une fraction de seconde, et lire l’espoir dans les yeux de ses parents, il aurait donné son comic book préféré sans hésitation.

 

Grandir sous un ciel électrique …

Tommy a treize ans. En 1940, entouré d’une bande de copains plus ou moins intrépides, il entre dans l’adolescence comme n’importe quel garçon de son âge. A cela près qu’à Londres, c’est la guerre. Le Blitz. Sous les bombardements intensifs des Allemands, des maisons partent en fumées chaque jour, laissant derrière elles autant de cratères béants que de fantômes d’histoires d’amour et d’amitié. Si Tommy taquine volontiers sa grande sœur Jenny et se chamaille avec elle de temps en temps, il sait aussi qu’il a profondément besoin d’elle et de leurs parents. Chaque fois que la sirène retentit pour alerter la population d’une nouvelle attaque, c’est auprès de sa famille qu’il veut trouver refuge. Difficile pour ce garçon d’imaginer son futur sans son père, inventeur fantaisiste qu’il soutient dans ses projets les plus audacieux et sans sa mère, la femme la plus courageuse et élégante que Londres ait connu. Parmi eux ou entre amis, chaque instant de légèreté est précieux. Pour Tommy, écrire chaque jour ces instants dans son grand cahier est l’occasion de les vivre une deuxième fois, plus intensément encore. Il est tout aussi agréable de noter les événements de sa journée que de les avoir vécus. Une sensation de plaisir vous entoure. Cette sensation a une porte, et vous y êtes toujours bienvenu. Parfois même, c’est encore plus agréable. Comme un bonbon qui ne dévoilerait sa saveur qu’après l’avoir fait tourner plusieurs fois sous votre langue (…). L’écriture, de mon point de vue, c’est un peu le bonbon magique de l’existence. Tommy compte bien savourer ce bonbon chaque jour et s’imagine déjà écrivain. Ou acteur peut-être, pour rencontrer les plus belles filles de la ville. En attendant la fin de la guerre, il résiste à coup d’histoires de super-héros et rêve de son amoureuse, Mila.

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Et laisser son passage dans l’écorce des jours.

J’ai découvert Jérôme Attal aux alentours de l’année 2006, d’abord comme parolier puis comme écrivain avec la publication régulière de son addictif Journal intime en ligne. Les jonquilles de Green Park est son dixième roman. Par l’hommage tendre qu’il rend à la musique et au cinéma, ce roman signe l’unité du travail de cet écrivain aux multiples facettes. Il nous rappelle que la force des chansons et des films est de faire rêver, chanter, parfois même danser, peu importe les circonstances. En abordant le thème de l’écriture,  sous forme de journal intime tenu par son jeune héros, fiction ou poème, J. Attal se livre comme jamais auparavant. Pourquoi devenir écrivain ? Quels (super)pouvoirs les romans confèrent-ils à son auteur ? Et comment « laisser son passage dans l’écorce des jours » ?
Plus encore que dans ses précédents romans, Jérôme Attal décrit avec pudeur et sensibilité le sentiment amoureux, l’attachement inaltérable envers la famille et la difficulté de grandir dans un monde qui nous bouscule sans cesse, alors que l’on rêve pour seul refuge le creux des bras de nos parents.

 

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